LE LICHEN PLAN BUCCAL
Le lichen plan est une affection dermatologique, caractérisée par des éruptions inflammatoires, prurigineuses, récidivantes, faites de petites papules discrètes, à contours polygonaux, qui finissent par confluer en plaques rugueuses et squameuses. La présence de lésions buccales est fréquente (50% des cas). Il ne faut pas séparer arbitrairement le lichen plan buccal du lichen plan tout court, maladie générale mais à localisations diverses. Il s’agit de la même maladie. Cependant, cette maladie reste assez rare, elle touche à peu près 0,5 à 1,5% de la population.
Le lichen plan buccal siège: sur la face interne des joues (face postérieure, sous forme de ponctuations blanches, isolées, ou de réseaux et d’arborisations brillantes), sur le dos de la langue (stries blanchâtres, plaques ou arborisations, ou nappes ou traînées opalescentes), sur le bord libre des lèvres (fines arborisations brillantes) et encore sur le palais, sur la gencive (notamment derrière les dents de sagesse).
Au niveau de la langue, ces plaques sont dues à un épaississement de l’épiderme lingual qui submerge les papilles, elles-mêmes moins développées, voire atrophiées. Les lésions plus importantes donnent un aspect scléreux, avec des zones dépapillées, le tout formant un réseau.
Il existe une forme circinée assez rare avec des taches ovalaires de 7 à 8 mm de long sur 3 ou 4 mm de large, avec une zone centrale d’aspect sain. Classiquement, plusieurs formes cliniques sont décrites:
La forme banale avec les taches en réseaux sus-décrites, le plus souvent peu active (absence d’érythème).
La forme scléreuse hypertrophique, siégeant le plus souvent à la face postérieure de la joue, autour de la dent de sagesse inférieure. Les lésions s’étendent en nappes, d’épaisseur irrégulière, parfois mamelonnées, ou végétantes.
Une forme scléreuse atrophique, plus fréquente, sur la face interne des joues ou sur la langue. La lésion donne un aspect lisse, avec quelques sillons blanchâtres, qui peuvent évoquer la syphilis lorsqu’ils sont profonds.
Enfin, une forme érosive, assez fréquente, pratiquement la seule à donner des douleurs, notamment au contact des aliments. La lésion est rouge, érosive, à fond œdématié, de forme irrégulière, parfois losangique, fréquemment surinfectée.
Le problème du diagnostic et de l’étiologie:
Histologiquement, le lichen plan est assez bien caractérisé. Mais cliniquement, le diagnostic différentiel doit être fait avec une leucoplasie, une candidose, voire une lésion carcinomateuse, ou même des aphtes atypiques, ou une stomatite herpétique ou enfin un érythème polymorphe. La kératose tabagique doit être écartée. On doit penser également au lupus érythémateux disséminé, qui donne des lésions en forme de taches arrondies saillantes, rouges avec des points ou des traînées blanchâtres. Le diagnostic est confirmé, éventuellement, par la présence de papules arrondies de 1 à 2 mm, rosées et brillantes, parfois recouvertes de squames.
A l’heure actuelle, la cause reste encore inconnue. Comme toujours dans ces cas, on incrimine divers facteurs déclenchants comme certaines intoxications (arsenic, bismuth, or, produits photographiques couleur). Enfin, on a constaté dans un grand nombre de cas que l’éruption faisait suite à un choc émotionnel ou à un stress, comme d’ailleurs lors de poussées d’aphtes ou d’herpès
Le traitement en médecine classique:
Faute d’une connaissance suffisante de la cause, le traitement classique va de l’abstention dans les formes asymptomatiques à la suspension d’un élément toxique (médicament par exemple). En cas de formes cutanées, on propose un anti-histaminique lorsqu’il y a prurit. Enfin, pour les formes cutanées et/ou buccales importantes, la corticothérapie par voie générale est pratiquée.
Les formes naturellement résolutives sont exceptionnelles. On constate le plus souvent une évolution chronique, durant des années, avec des poussées plus ou moins intenses ou prolongées. Il existe tout de même un risque d’évolution vers un carcinome (1 à 10% des cas). Cela implique une surveillance constante.
Le traitement en homéopathie:
Il faut d’abord constater que ce sujet n’a pas passionné les auteurs. Sur environ 10280 titres d’articles référencés, il n’y en a qu’un seul ! Dans une communication présentée en 1973 à la Semaine Homéopathique de Paris, R. PERNOT écrit ceci: « Pour en terminer...deux mots sur le lichen plan buccal. Il est tenace, demande une longue patience et une régularité parfaite dans le traitement. Je ne décrirai pas les remèdes possibles. Je me bornerai à les énumérer: Aurum metallicum, Fluoric acid., Graphites, Nitri acid., Phytolacca, Silicea, Tabacum. Ce sont ceux que j’ai trouvés cités au cours de mes lectures. Mais le principal est, à mon avis, MERCURIUS SOLUBILIS et si le sujet se plaint d’une nette irritation des muqueuses buccales = Mercurius corrosivus. Il m’a déjà rendu service dans l’un ou l’autre cas de lichen buccal ».
On trouve également des indications sur ce sujet dans au moins deux livres. D’abord dans l’ouvrage princeps de Paul CHAVANON (1898-1962): « Thérapeutique O.R.L. homéopathique ». C’était un praticien très actif, un enseignant véhément dans ses convictions, un pluraliste convaincu et enfin un chercheur à qui on doit plusieurs médicaments dont certains sont encore commercialisés (Homéoplasmine et SEDATIF P.C.). On trouve dans ce livre, à la page 575, seulement quelques lignes sur le lichen plan buccal et la leucoplasie. « J’ai, plusieurs fois, réussi à faire disparaître ou à diminuer considérablement des plaques importantes de leucoplasie ou de lichen plan de la face interne des joues avec l’association suivante: Graphites 30 et 200, Fluoric acid. 30, Nitri acid. 30, Silicea 30 et Phytolacca 30.... Bien entendu, j’ai fait supprimer tout tabac pendant le traitement. Dans l’une de mes observations, la fonte des plaques a semblé s’accélérer nettement dès que j’ai ajouté aux remèdes ci-dessus Tabacum P.C. 30, deux granules une fois par 24 heures ». Dans cet ouvrage, il est précisé que la 30° K correspond à peu près à 4 ou 5 CH, la 200°K à la 7 ou 9 CH.
Le premier commentaire est inspiré par cette formule complexe « passe-partout » que l’on peut donner à tous les patients, sans individualisation. Cela choque en homéopathie, même si les partisans de cette pratique avance l’argument de l’efficacité. Il y a là une manière de pratiquer l’homéopathie qui s’apparente à la médecine classique. Mais cette critique faisait « hurler » Paul Chavanon, paraît-il. On peut remarquer que R. PERNOT cite les mêmes médicaments.
Le deuxième ouvrage est en fait l’Encyclopédie Médico-Chirurgicale, qui a consacré deux tomes à l’Homéopathie. Dans le premier (référence tome 1 - 38.255 A20), Emile ILIOVICI écrit les lignes suivants : « Les stomatites lichénoïdes restent un peu à part. Elles sont souvent rebelles et ARNICA peut utilement lever l’anamnèse (sic) d’un très fréquent choc nerveux. Quant aux données locales, elles orientent surtout vers Mercurius corrosivus, Aurum metallicum et ses dérivés (en particulier Aurum thiosulfuricum natronatum), Arsenicum album, et aussi Berberis, Euphorbium ».
Pour une affection comme le lichen plan ou d’autres, pour lesquelles les ouvrages de référence restent trop discrets, il n’y a pas d’autres méthodes que d’appliquer la démarche homéopathique la plus éprouvée: d’abord prendre une observation aussi complète que minutieuse. Rechercher ainsi le remède de fond, celui qui correspond aux signes et symptômes les plus valables sur le plan de la hiérarchisation qualitative = les circonstances étiologiques, les signes psychiques, les signes généraux, les modalités générales, enfin les signes loco-régionaux. Comme l’on vise surtout à débarrasser le patient de cette affection chronique, cette méthode est la seule possible.
Si l’on a la chance de mettre en évidence une circonstance étiologique, il faut alors et toujours commencer par une neutralisation étiologique. Dans le cas du lichen plan buccal, les auteurs semblent d’accord sur le rôle possible d’un toxique ou d’un stress ou choc psychique.
S’il s’agit de l’action d’un toxique, et si l’on peut l’identifier, il faut donner ce même toxique en moyennes, puis hautes dilutions. Depuis les travaux sur la cinétique d’élimination d’un toxique conduits il y a près de 50 ans par Lise WURMSER, il est démontrer que des dilutions de ce même toxique sont capables d’entraîner son élimination, alors qu’il n’est plus spontanément éliminé. Chaque fois que possible, il faut commencer par ce traitement.
Lorsqu’il y a une cause psychogène, les médicaments homéopathiques sont nombreux. En voici, pour rappel, une liste non exhaustive:
Suite d’émotions: GELSEMIUM, IGNATIA, NUX VOMICA, PULSATILLA...
Suite de peurs: GELSEMIUM, IGNATIA, OPIUM, PULSATILLA, KALI BROMATUM, ARGENTUM NITRICUM, AMBRA GRISEA...
Suite de colères: CHAMOMILLA, COLOCYNTHIS, NUX VOMICA...
Suite de colère, d’indignation ou d’humiliation « rentrées »: STAPHYSAGRIA...
Suite de jalousie: LACHESIS, NUX VOMICA, PULSATILLA, STAPHYSAGRIA...
Suite de chagrin, suivi de dépression avec irritabilité: AMBRA GRISEA, CONIUM, AURUM METALLICUM, PHOSPHORIC ACID. (mutisme, indifférence...), IGNATIA, KALI BROMATUM, KALI PHOSPHORICUM et surtout NATRUM MURIATICUM...
Suite de déception sentimentale: AURUM METALLICUM (pense au suicide mais a peur de la mort), IGNATIA, NATRUM MURIATICUM (refuge dans la solitude, anorexie....), PHOSPHORIC ACID., ACTAEA RACEMOSA (peur de la folie, troubles menstruels...), ANTIMONIUM CRUDUM (pleurs, dégoût de la vie, boulimie...), CALCAREA PHOSPHORICA (anorexie, refuge dans la solitude...), HELLEBORUS NIGER (hébétude, prostration...), STAPHYSAGRIA (refoulement, somatisation = troubles urinaires, chalazion, carie avec dentine réactionnelle dure et brune...)...
Mais, il faut ensuite rechercher les autres signes les plus caractéristiques du patient, en privilégiant ceux que l’on appelle « diathésiques », pour la raison évidente que tous les auteurs sont unanimes à reconnaître la chronicité de cette affection, ce qui induit obligatoirement la participation du « terrain ».
Dans les listes citées plus haut par R. PERNOT, E. ILIOVICI ou P. CHAVANON, il faut reconnaître que de nombreux remèdes du mode réactionnel luétique sont présents: AURUM METALLICUM, FLUORIC. ACID., NITRI ACID., PHYTOLACCA, et surtout les deux MERCURIUS, SOLUBILIS et CORROSIVUS. Pour les autres médicaments, SILICEA est avant tout un déminéralisé, mais il a quelques signes luétiques, comme la tendance aux hypertrophies et indurations lympho-ganglionnaires. Pour GRAPHITES, il s’agit d’un remède « carrefour » indiqué lorsque le malade hésite entre deux modes réactionnels: le mode psorique qui ne parvient plus à maintenir l’équilibre et le mode sycotique, tout de ralentissement métabolique.
L’indication de MERCURIUS peut évoquer le rôle des amalgames dentaires et de leur toxicité. Quelques auteurs incriminent le rôle de l’électro-galvanisme buccal dans le développement ou la persistance d’un lichen plan buccal ou d’une leucoplasie. L’un des MERCURIUS peut jouer le rôle d’un désensibilisant ou d’un neutralisant étiologique, en dehors d’une indication basée davantage sur la similitude symptomatique.
Il faut encore penser à d’autres causes, non citées par les auteurs, comme l’alcoolisme chronique ou les convalescences difficiles à la suite d’une maladie grave. Il ne faut pas oublier que le lichen plan est classé parmi les affections auto-immunes. Il faut alors en cas d’échec des traitements homéopathiques, penser aux techniques encore marginales mais très prometteuses que propose l’immuno-thérapie à doses infinitésimales.
Quelques précisions sur les « petits remèdes » cités, comme BERBERIS, PHYTOLACCA et EUPHORBIA semblent utiles, car les autres médicaments ont été décrits à plusieurs reprises dans cet ouvrage.
BERBERIS VULGARIS:
Berberis vulgaris ou épine vinette est un arbrisseau épineux (berbéridacées). Son principal constituant est la berbérine qui possède des propriétés cholagogues, cholérétiques et spasmolytiques (on retrouve de la berbérine dans HYDRASTIS et CHELIDONIUM). Son action concerne essentiellement les fonctions hépato-vésiculaires et urinaires. Il est souvent utilisé comme « draineur » de ces appareils, en basse dilution = lithiase uratique avec diurèse variable, le plus souvent insuffisante - douleurs rénales et urétrales (gauches) - colique hépatique, arthralgies uricémiques, goutte ou rhumatisme après suppression d’une fissure anale... A cela s’ajoutent quelques indications cutanées: eczéma sec, prurit avec desquamation fine (Arsenicum album), psoriasis, pityriasis versicolor, dermatoses circinées. GUERMONPREZ ajoute une observation personnelle: lithiase salivaire.
En parcourant plusieurs Matières Médicales, on constate qu’il n’y a pratiquement pas de signes bucco-dentaires. Il faut donc les glaner ça et là et surtout les rechercher dans les différentes rubriques du Répertoire de KENT. Ainsi trouve-t-on les indications bucco-dentaires suivantes: aphtes, sensation de brûlure, ulcérations et saignement de la gencive, goût acide, amer, de sang ou de savon, haleine fétide, bouche sèche avec une salive cotonneuse et épaisse, douleurs dentaires, surtout la nuit, glossite avec brûlure, notamment au bout de la langue ou sur les bords, vésicules sur la langue. Le lichen est l’une des indications, dans le contexte buccal sus-décrit, chez un sédentaire atteint des troubles urinaires et hépatiques décrits. Ajoutons quelques sensations qui peuvent parfois confirmer l’indication: sensation de bouillonnement ou comme s’il y avait de l’eau ou quelque chose de vivant en différents endroits (parfois au niveau de l’A.T.M.), sensation qu’on arrache ses dents.
PHYTOLACCA:
C’est encore un arbrisseau (raisin d’Amérique - Phytolaccacées). Parmi ses constituants, on trouve le « pokeweed mitogène » qui induit in vitro la transformation lymphoblastique et stimule à la fois les lymphocytes B et T. Ceci confirme notre recommandation déjà ancienne d’ajouter ce médicament en T.M., associé à CALENDULA dans diverses inflammations buccales: gingivites bien sûr mais également ulcérations dont les aphtoses (action sédative due sans doute à la réduction de la surinfection des lésions). PHYTOLACCA est utilisé depuis longtemps dans l’angine ou la rhino-pharyngite, avec sensation de courbature générale ou de meurtrissure, douleurs en avalant, < par le froid humide. On le donne souvent comme complémentaire de MERCURIUS, certains auteurs le considérant comme « un mercure végétal ». On l’utilise aussi en pathologie mammaire: mastoses, mastodynies, syndrome prémenstruel, fissures du mamelon... Parmi ses composants, il y a une saponoside (la phytolaccoside) qui possède une action anti-inflammatoire et anti-rhumatismale.
Mêmes remarques concernant les signes buccaux, absents des Matières Médicales: aphtes, gingivite (gencive douloureuse, enflée, rétractée, ulcérée, saignement), leucoplasie, lichen, muguet, mycose, bouche sèche avec salive épaisse ou hypersalivation, dentition douloureuse, langue gardant l’empreinte des dents, langue sèche et ulcérée, ulcérations dans toute la bouche et au palais, mucosités tenaces.
EUPHORBIA RESINIFERA:
Ce « petit » médicament a longtemps été utilisé comme complémentaire d’ARSENICUM ALBUM dans les cancers évolués, cutanés ou métastasés à la peau = cancers cutanés ulcérés et infectés dont il calmerait les douleurs. Ou encore dermites atrophiques et inflammatoires après irradiation. Les troubles cutanés dominent: éruptions vésiculeuses ou bulleuses, phlyctènes, sur fond inflammatoire avec des douleurs brûlantes plus ou moins améliorées par les compresses froides. Le Répertoire de KENT précise les signes buccaux suivants: gingivite, goût amer, insipide ou mauvais, lichen, mucosités, salivation intense malgré une sensation de sécheresse, douleurs dentaires à la mastication, carie avec émiettement des dents.
Comme son nom l’indique, il s’agit d’une résine extraite d’une plante commune en Afrique du Nord et aux Canaries, Euphorbia resinera. Cette plante est utilisée depuis l’Antiquité, elle doit son nom à Euphorbus, médecin de Juba, roi des Numides.
La première pathogénésie a été réalisée par HAHNEMANN et ses collaborateurs, mais à partir d’un mélange de plusieurs résines d’euphorbes. Du fait d’une tendance aux inflammations avec induration, de la sialorrhée, des douleurs brûlantes, EUPHORBIA peut être un complémentaire de MERCURIUS ou de MEZEREUM dans les troubles cutanés (vésicules brûlantes type zona ou érysipèle).
CONCLUSION
Il n'est pas toujours facile de faire un diagnostic différentiel à partir du seul aspect des lésions buccales = candidose, lichen, leucoplasie, etc... Il est souvent nécessaire de recourir au laboratoire.