ÉVOLUTION DE LA PLACE DE L’HOMÉOPATHIE
EN PATHOLOGIE DIGESTIVE
SUR 25 ANS DE PRATIQUE MÉDICALE HOMÉOPATHIQUE
APPLICATION A LA MALADIE ULCEREUSE :
HELICOBACTER PYLORI OU TERRAIN
André COULAMY
Ancien président de la Société française d’Homéopathie
L'hépato-gastro-entérologie a subi ces dernières années de profonds bouleversements: non seulement en raison de la somme des nouvelles acquisitions, mais encore par le développement de techniques instrumentales nouvelles et remarquablement utiles au diagnostic et au traitement.
Ces techniques ont eu pour effets de négliger les informations données par la clinique, de transformer le gastro-entérologue en technicien supérieur et de permettre au médecin praticien, grâce aux enregistrements vidéos, d'avoir un accès direct aux informations visuelles.
Le médecin homéopathe a su bénéficier de cette évolution: habitué‚ à une séméiologie fine et circonstanciée, il sait extraire de la clinique un maximum de renseignements utiles au diagnostic comme à l'établissement du traitement homéopathique. Il peut prescrire avec discernement le - ou les - examens complémentaires indispensables en limitant leur nombre et leur répétitions inutiles, économisant ainsi les deniers des patients et des organismes d'assurance.
Certaines affections digestives ont bénéficié d'importants progrès thérapeutiques. D'autres, d'étiologie encore mystérieuse, n'ont pas eu les mêmes avantages. La place que le traitement homéopathique peut prétendre occuper au sein de l'arsenal thérapeutique dont dispose le médecin est à définir non seulement pour chaque affection, mais aussi pour chaque patient en fonction des progrès de la médecine.
Tout est complexité‚ dans le malade digestif : le fonctionnel a priori sans gravité mais invalidant pour celui qui en souffre; le lésionnel souvent camouflé‚ et auquel il faut toujours penser; les alternances entre les troubles digestifs et une autre pathologie (cutanée, rhumatismale...). Enfin, et ce n'est pas le moindre, l'interaction omniprésente du psychisme qui brouille ou éclaire la vision globale du cas clinique.
Les organes digestifs sont souvent des organes cibles, points d'achoppement de perturbations à distance, résonnant comme l'écho final et audible d'un dysfonctionnement profond. L'homéopathie, grâce à sa conception particulière des maladies, permet d'aborder le malade digestif dans sa globalité. Elle propose des traitements curatifs mais aussi préventifs avec une quasi absence de pathologie iatrogène.
Certaines classifications anciennes ont été démembrées, à la lumière de la physiopathologie ou de l’histologie : si la dyspepsie est encore admise, on ne parle plus guère de dyskynésie et encore moins de petite insuffisance hépatique ; la gastrite n’a de définition qu’histologique ; la famille des virus hépatotropes s’est agrandie. Malheureusement pour le malade, ces nouvelles conceptions ne correspondent pas toujours à une thérapeutique spécifique et efficace.
En 25 ans d’évolution de la médecine en pathologie digestive, quelle place peut encore tenir l’homéopathie ?
Cette place est variable selon les cas.
1. Traitement homéopathique exclusif.
Lorsqu’il est suffisamment actif à lui seul, ou lorsque les autres possibilités thérapeutiques sont mal définies, peu efficaces, ou assorties d’une pathologie iatrogène non négligeable.
2. Traitement homéopathique associé à un autre traitement.
association simultanée de deux traitements dans le but de renforcer la résultante thérapeutique tout en diminuant les posologies des médicaments chimiques (et diminution des effets secondaires).
Traitement homéopathique relais d’un autre traitement dans un but préventif.
3. Traitement homéopathique d’indication relative.
lors d’une intervention chirurgicale, en phase pré-opératoire pour faciliter l’intervention en préparant le malade ; en phase post-opératoire pour faciliter les suites ;
dans les cas très graves, dépassés pour une thérapeutique curative, le traitement homéopathique peut apporter au malade, pendant un temps certes limité, un confort fonctionnel qu’on ne saurait négliger.
Dans beaucoup de chapitres de la pathologie digestive, l’homéopathie conserve le même intérêt qu’il y a 25 ans.
C’est le cas pour :
la dyspepsie
le traitement fonctionnel des nausées et des vomissements
le météorisme abdominal
les colopathies fonctionnellesles colites inflammatoires chroniques
le traitement fonctionnel de la diarrhée et de la constipation
en proctologie
et l’ensemble des dysfonctionnements hépato-vésiculaire où les résultats de l’homéopathie sont bien supérieurs à ceux de l’allopathie.
Comme on peut le constater, le champ d’application de l’homéopathie reste encore vaste.
Mais quid du traitement des ulcères gastro-duodénaux ?
TRAITEMENT DES ULCÈRES GASTRO-DUODENAUX
Deux notions nouvelles et importantes sont apparues :
1. D’une part, des médicaments anti-sécrétoires nouveaux, en particulier :
les antagonistes des récepteurs H2 de l’histamine, type cimétidine ;
et la famille de l’oméprazole.
2. D’autre part, la prépondérance de la théorie infectieuse dans la physiolathologie de l’ulcère, avec la découverte d’helicobacter pylori, et les traitements antibiotiques qui en découlent, visant à guérir radicalement l’ulcère, permettant de stopper les anti-sécrétoires.
MAIS :
1. Les anti-sécrétoires :
ne sont pas efficaces dans tous les cas,
n’évitent en général pas les rechutes à l’arrêt du traitement,
sont parfois mal supportés obligeant d’interrompre le traitement,
sont chers (surtout la famille de l’oméprazole), et très réglementés dans leur prescription remboursable.
2. Le traitement antibiotique de l’ulcère :
est très codifié, très recommandé, voire obligatoire,
très séduisant dans son principe, car appliquant banalement le principe pasteurien : une maladie, un microbe, un antibiotique, le malade est guérit ,
malheureusement, on observe des échecs, comme dans tout traitement antibiotique, bien que les statistiques officielles soient plutôt flatteuses,
mes statistiques personnelles sont différentes, puisque je sélectionne les échecs du traitement classique, et je constate avec mes patients que traitement retarde parfois la rechute, mais de l’empêche pas toujours, et les anti-sécrétoires doivent être repris.
Dans ce cas, c’est-à-dire en cas de rechute, il est officiellement admis qu’ un nouveau traitement antibiotique a peu de chance d’être efficace si le première n’a pas marché non plus.
Ce mode de l’interprétation exclusivement infectieuse de l’ulcère fera, à mon avis, comme le café : elle passera, laissant derrière elle certes, un atout supplémentaire pour l’étiologie infectieuse de l’ulcère, mais à côté seulement d’autres étiologies intriquées, comme les perturbations vasculaires de la muqueuse, le rôle de l’hérédité, des facteurs exogènes d’agression, et les perturbations du psychisme.
C’est-à-dire que l’ulcère gastro-duodénal quittera le statut d’infection de la muqueuse digestive, pour devenir ce que nous, médecin homéopathes, pensons qu’il a toujours été, une manifestation locale d’un dérèglement général.
A la lumière de cette analyse, quelle place l’homéopathie peut-elle espérer à côté de la chimie en apparence triomphante, dans le traitement de la maladie ulcéreuse ?
1. En aigu.
L’efficacité habituellement remarquable des anti-sécrétoires a limité l’utilisation de l’homéopathie. Néanmoins, des médicaments tels que Sulfuricum acidum, Robinia, Kalium bichromicum, et d’autres sont toujours utiles lorsque les médicaments allopathiques sont mal supportés ou peu efficaces.
2. En chronique.
C'est là tout l’intérêt et toute l’originalité du traitement homéopathique.
Comme nous l'avons vu, en cas d’échec du traitement antibiotique, il n’y a plus de traitement officiel pour stopper la maladie ulcéreuse, et les anti-sécrétoires doivent être continués pendant un temps indéterminé.
L'homéopathie, par sa conception originale des maladies chroniques, permet une approche thérapeutique du terrain ulcéreux et, par une application élargie de la de similitude, permet de trouver une réponse aux perturbations profondes qui conditionnent ce terrain pathologique en interrompant le cycle désespérant des rechutes.
A cette étape du raisonnement homéopathique, prendre en compte les symptômes présents au moment de la crise est nécessaire mais non suffisant. Comme dans tout traitement homéopathique d'une affection chronique, la recherche du simillimum se fera à partir d'un ensemble symptomatique évocateur et caractéristique:
de la symptomatologie gastrique du malade, sans oublier les symptômes concomitants,
du mode réactionnel général de ce malade,
et de la matière médicale du médicament homéopathique.
La confrontation de ces résultats permet de dégager une globalité de symptômes, c'est-à-dire non une accumulation de symptômes mal choisis, mais un ensemble symptomatique cohérent évocateur à la fois d'un mode réactionnel homéopathique particulier et d'un ou plusieurs médicaments homéopathiques.
Notons qu'un médicament de fond peut parfois être aussi le médicament de crise.
Par application de la similitude avec les données de la matière médicale et son index qu'est le répertoire, on pourra déterminer le similimum qui sera la solution thérapeutique de la maladie chronique, c'est-à-dire le traitement qui permettra d'interrompre la chronicité, de stopper la survenue des rechutes, réalisant ainsi un véritable traitement préventif et curatif de la maladie ulcéreuse.
Pour ce faire, la classification diathésique est bien pratique pour une première orientation rapide vers le traitement de fond.
LE MODE REACTIONNEL LUETIQUE :
C'est probablement la diathèse la plus impliquée. En effet, non seulement un grand nombre de médicaments de la lignée luétique sont, d’après leur matière médicale, des médicaments d’ulcère, mais parmi les caractéristiques du luétisme on retrouve la tendance chronique à l'inflammation et à l'ulcération des muqueuses, avec des troubles vasculaires de la micro-circulation de cette muqueuse.
Principaux médicaments: Argentum nitricum, Mercurius corrosivus, Sulfuricum acidum, Nitricum acidum, Luesinum.
LE MODE REACTIONNEL PSORIQUE :
Les manifestations gastriques sont souvent associées à des troubles hépato-biliaires et/ou à des troubles intestinaux traduisant les tentatives d'élimination de la surcharge psorique.
L'appareil hépato-biliaire est considéré comme un grand émonctoire avec des faiblesses de fonctionnement. Les troubles digestifs peuvent alterner avec des pathologies non digestives (cutanées, rhumatologiques, urinaires).
Principaux médicaments: Lycopodium, Graphites, Sulfur, Psorinum.
LE MODE REACTIONNEL TUBERCULINIQUE :
C'est surtout l'apanage du jeune.
Médicaments: Kalium phosphoricum, Natrum muriaticum, Phosphorus, Sepia, Tuberculinum.
LE MODE REACTIONNEL SYCOTIQUE !
La sycose est la diathèse la moins concernée. Elle peut traduire une évolution plus défavorable vers l'hypochlorhydrie et la cancérisation.
A. COULAMY
BIBLIOGRAPHIE
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COULAMY André
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