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LES MODALITES EN HOMEOPATHIE

Origines et évolutions



Docteur Michel CONAN-MERIADEC

(1921-2000)

  

Définition et place des modalités en sémiologie :


            En pathologie, comme en homéopathie, tout repose sur la sémiologie, car qu’est-ce que la maladie sinon la traduction sémiologique d’une inadaptation réactionnelle d’un organisme à des facteurs pathogènes ?


  


            Le médecin cherche à faire le diagnostic de la maladie du malade en comparant sa sémiologie avec celles des maladies naturelles connues.


            Le médecin homéopathie cherche à faire le diagnostic de la maladie expérimentale semblable à celle du malade, en comparant sa sémiologie avec celle des maladies expérimentales connues : les pathogénésies.


            Pour faire un diagnostic de maladie naturelle ou pathogénétique, il faut établir un ensemble sémiologique caractéristique de cette maladie, avec le minimum de signes et de symptômes. Mais cette détermination est rendue très difficile par la richesse et la complexité de ces sémiologies. Il faut donc faire un choix en valorisant les symptômes et les signes qui constituent la sémiologie. Il est donc nécessaire de bien comprendre ce que cette sémiologie représente.


            Le symptôme est la traduction, en langage clinique et/ou paraclinique, des modifications physio-pathologiques présentées par un organisme sous l’influence de facteurs pathogènes. Il peut être subjectif ou objectif, clinique ou paraclinique.


  


            Au contraire, le signe est un indice, une indication utile au diagnostic d’une maladie naturelle ou expérimentale, par comparaison avec une indication semblable connue d’une maladie naturelle ou pathogénétique.


            Le signe est ainsi toute information ayant valeur diagnostique pour la reconnaissance d’une maladie :


  


            Mais, un symptôme peut devenir un signe quand il est valorisé, c’est-à-dire qualifié, circonstancié, accompagné ou possédant des modalités.


            Ainsi, en pathologie, un symptôme comme la céphalée peut devenir un signe de migraine quand elle est unilatérale (qualifiée) survenant périodiquement avant les règles (circonstanciée), précédée de troubles visuels et suivie de vomissements de bile et d’engourdissement ou de parésie d’un membre (accompagnée).

            De même en pathologie, un symptôme comme une douleur thoracique devient un signe de BRYONIA quand elle est piquante (qualifiée), aggravée par le mouvement et la toux, améliorée par la pression et couché sur le côté douloureux (modalités), avec soif et transpiration (accompagnée).


            Mais les critères de valorisation sont un peu différents en pathologie et en homéopathie parce que les objectifs sont différents.


            En pathologie, on cherche à mettre en évidence dans la sémiologie du malade les signes communs de la maladie, caractéristiques de cette maladie dont ils permettent de faire de diagnostic. On néglige les signes propres de la réaction personnelle du malade, sans intérêt pour le diagnostic nosologique.


            En homéopathie, on retient tous les signes caractéristiques de la réaction du malade, les signes communs et les signes personnels, mais on privilégie les signes de sa réaction personnelle. Pourquoi ? Parce que le choix entre deux remèdes couvrant les signes communs de la maladie du malade sera fait sur les signes propres de la réaction personnelle du malade, car ils sont caractéristiques d’un remède.


            En effet, une même maladie peut relever de remèdes homéopathiques différents : ils sont les mêmes signes communs de la maladie, mais des signes de réaction personnelle différents et caractéristiques de chacun de ces remèdes.  Ainsi, une même pneumopathie à pneumocoques peut relever de remèdes dont les réactions personnelles sont aussi différentes de celles de BRYONIA, PHOSPHORUS ou VERATRUM ALBUM, ou encore LYCOPODIUM. Ils couvrent tous la même maladie, mais avec leurs réactions personnelles propres.


            Inversement, un même remède peut couvrir des maladies différentes parce que son registre est étendu, mais nous retrouvons toujours la même réaction personnelle à travers des signes communs divers. Ainsi, PHOSPHORUS peut être le remède homéopathique d’une pneumopathie, d’une hépatite virale ou d’une hémorragie.


            Le remède homéopathique doit couvrir les signes communs de la maladie du malade mais aussi les signes personnels de la réaction du malade, parce qu’ils sont caractéristiques du remède comme de la réaction personnelle du malade = ce sont eux qui permettent d’identifier le remède homéopathique. C’est le principe même de la similitude : une similitude réactogène semblable.


Quels sont les critères de la valorisation homéopathique ?


  


Parmi ces critères, les modalités tiennent une place majeure, sinon la première. Nous allons essayer de les définir, puis de voir comment on est passé des modalités locales aux modalités générales.


Des modalités locales aux modalités générales :


            L’évolution des idées procède selon une progression discontinue : longues périodes de transformations lentes, insensibles, suivies de brusques mutations, correspondant à des révolutions scientifiques, intellectuelles ou… philosophiques, sous l’influence de fortes personnalités qui cristallisent une « idée dans l’air ».


            L’homéopathie n’échappe pas à la règle et son évolution est marquée de mutations brusques qui cristallisent, sous l’influence de personnalités exceptionnelles : BOENNINGHAUSEN, HERING, KENT, NEBEL ou VANNIER, des idées, des techniques, découvertes ou exploitées déjà empiriquement par de nombreux homéopathes.


            Ainsi, autour du début du XX° siècle, la matière médicale a subi en France une mutation avec l’apparition de matières médicales didactiques. Jusque-là, les homéopathes français ne disposaient que de matières médicales pures, comme celles de HAHNEMANN ou de JAHR. Avec celle d’ESPANET, puis de JOUSSET, apparurent des matières médicales simplifiées, expliquées, tenant de les relier à la physiopathologie qui en était à ses débuts.


            Mais elles étaient encore trop confuses. Il faudra attendre Léon VANNIER pour disposer d’un outil pratique d’étude, où les signes caractéristiques sont mis en évidence, où les modalités générales sont isolées et groupées en tête de chaque remède, comme les latéralités.

            Depuis, les modalités générales ont conservé une place de choix, sinon la première, dans les ouvrages contemporains, que ce soient ceux de CHIRON, de VOISIN, de LATHOUD, de DUPRAT ou de KOLLITSCH, alors qu’ils peuvent différer par ailleurs les uns des autres, les uns mettant l’accent sur le type sensible, d’autres sur les signes étiologiques, d’autres sur les signes concomitants. C’est pourquoi il est bon d’en consulter plusieurs.


            Mais d’où sortent ces modalités générales auxquelles on accordait la place d’honneur ? C’est ce que nous avons essayé de démêler à travers les ouvrages à notre disposition : HAHNEMANN, JAHR, HERING, CLARKE, KENT et BŒNNINGHAUSEN.


            Quand on ouvre la Matière médicale de HAHNEMANN, on se demande comment les premiers homéopathes ont pu l’utiliser pour déterminer le remède homéopathique du malade : comment se retrouver devant cette profusion de symptômes non valorisés et souvent contradictoires ?


            Très rapidement, les homéopathes ont donc chercher des méthodes pour arriver plus vite et plus sûrement à déterminer le remède homéopathique du malade. Cette recherche s’est développée dans deux directions différentes mais complémentaires : répertorisation et valorisation des symptômes.

            

            Les répertoires ont eu peu de succès en France, mais beaucoup chez les Anglo-saxons où ils ont triomphé avec celui de KENT. Les Français ont été davantage attirés par la valorisation et surtout les tentatives d’explication de la sémiologie homéopathique par la physiopathologie.


Les répertoires :


            Les premiers répertoires de symptômes homéopathiques sont contemporains de HAHNEMANN : ce sont ceux de JAHR et de BOENNINGHAUSEN.


            Le répertoire méthodique des médicaments homéopathiques de JAHR, dans sa traduction française de 1835, présente pour les rubriques les plus complètes quatre chapitres :


  


            Les modalités y sont bien isolées, mais elles restent des modalités locales : il n’y a pas à proprement dit, de modalités générales.


            Ce répertoire, simple et facile à utiliser, dont le plan est bien adapté à la technique homéopathique, va s’alourdir pour devenir dans son édition de 1872 un monument peu pratique, peu utilisé, quoique pratiquement le seul dont disposaient les homéopathes français qui, comme chacun sait, ignorent les langues étrangères et n’ont découvert les répertoires que beaucoup plus tard, avec celui de KENT.


            Pourtant en 1846 avait paru la traduction du Répertoire de BOENNINGHAUSEN où, sous le nom de Manuel de Thérapeutique Homéopathique, il avait rassemblé deux répertoires, rédigés avec l’approbation de HAHNEMANN, décédé peu avant sa parution.


            Mais ce répertoire, difficile à manier, n’eut pas de succès en France, alors que grâce à la traduction de T.F. ALLEN, il est à l’origine de tous les répertoires anglo-saxons.


            Néanmoins, il nous intéresse ici directement parce que nous trouvons dans cet ouvrage la notion de modalités générales. Dans sa préface (page XX), l’auteur montre qu’à ses yeux, les modalités n’étaient jamais locales :


            « Les conditions de l’exacerbation ou de l’amélioration… sont avec l’affection générale dans une relation beaucoup plus étendue qu’on ne le pense ordinairement et jamais elles ne se bornent exclusivement à tel ou tel symptôme : au contraire, il arrive très souvent que le choix du médicament convenable en dépend ».


            Et il illustre sa réflexion par une observation montrant que le choix du remède efficace avait été déterminé chez un malade par une aggravation locale d’un symptôme qui n’existait pas chez ce malade, mais qui présentait la même aggravation pour un symptôme différent, en l’occurrence « en se faisant la barbe ».


            Ainsi, BOENNINGHAUSEN semble être à l’origine des modalités générales, mais on lui doit aussi la mise en évidence d’autres signes généraux. Dans le 6° partie, sous le nom d’étiologie, il associe : diathèse, rythme, étiologie et modalités, mais aussi les signes concomitants.

            L’influence de BOENNINGHAUSEN a donc été considérable chez les homéopathes anglo-saxons, non seulement par le succès des répertoires, mais dans la valorisation des symptômes. Seulement celle-ci ne s’est développée que progressivement. La notion de modalité générale émerge, est entrée dans les esprits, mais pas suffisamment pour qu’elle devienne une modalité particulière.


            Ainsi, dans HERING, qui s’attache comme JAHR, à hiérarchiser les symptômes par une typographie différente, comme le fera ALLEN, il n’y a pas à proprement parler une rubrique « Modalités générales ». Les rubriques comme « Repos, position, mouvement » ou « Horaire », « Température » et « Temps », comme du reste les rubriques « Périodicité » ou « Latéralité », concernent les modalités locales. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’avait pas compris l’intérêt des modalités générales, ni qu’il ne les utilisait pas. Il suffit de se rappeler le schéma inscrit en permanence sur le tableau noir de sa classe : une croix de Saint-André partageant les signes homéopathiques en 4 sections : localisation et tissus, sensations, modalités, concomitants – pour comprendre toute l’importance qu’il accordait aux signes généraux et on peut dire que c’est un héritage direct de BOENNINGHAUSEN.


            Cette répartition des symptômes, comme son trépied symptomatique, sont restés les piliers de la détermination du remède. Mais les modalités générales n’étaient pas mises en valeur dans une rubrique particulière, regroupant tous les signes généraux. Ceci n’apparaît ni dans la Matière médicale de CLARKE, ni dans les causeries de matière médicale de KENT : le lecteur doit chaque fois « piquer » les modalités générales dans plusieurs rubriques.


            Devons-nous en conclure que les modalités générales, découvertes par les Anglo-saxons sont revenues outre-atlantique quand les homéopathes français se sont mis à lire les homéopathes américains ? Ils se seraient contentés, avec leur besoin de logique et de rationnel, de formuler de façon claire le concept de modalité générale et auraient groupé ces modalités en une seule rubrique facile à mémoriser et à consulter ?


            C’est possible, mais ce serait méconnaître le travail des homéopathes français, qui n’avaient pas attendu pour valoriser les symptômes et découvrir les signes généraux : nous revenons à notre hypothèse initiale de cristallisation des idées qui avaient atteint leur état de sursaturation.


L’évolution en France :


            En effet, les homéopathes français n’étaient pas restés inactifs. Non seulement ils avaient valorisé les symptômes, mais ils s’étaient surtout attachés à relier logiquement l’homéopathie à la médecine :


  


            Les homéopathes espéraient beaucoup de ces conceptions toxi-constitutionnelles des malades, inventées par Antoine NEBEL, reprises par Léon VANNIER, puis par Henri BERNARD, Marcel MARTINY selon des références différentes et surtout :


  


d’où l’espoir de trouver les éléments d’une thérapeutique préventive.


            Si cette tentative n’a pas eu tout le succès qu’on pouvait en attendre, c’est qu’elle reposait sur une méconnaissance initiale de la nature réactionnelle de la similitude homéopathique.

  

            En la  plaçant sur le plan nosologique, hors du véritable domaine de l’homéopathie, les homéopathes se condamnaient à renier  leurs théories explicatives, au fur et à mesure que la biologie progressait et démentait leurs conceptions. Mais c’est tout de même à cette aspiration vers une homéopathie non plus hérétique, mais intégrée dans la médecine, comme une discipline différente, sortie de l’empirisme parce qu’elle accepte le contrôle expérimental qui la confirme, quand on lui trouve des protocoles expérimentaux adaptés à la nature de son sujet, l’expérimentation sur l’homme, que l’homéopathie a conquis la place éminente qu’elle occupe aujourd’hui dans le monde.


Au contraire, les homéopathes qui sont restés bloqués dans des attitudes figées devant l’œuvre de HAHNEMANN, qui n’ont pas compris son message comme une ouverture sur une nouvelle compréhension de la maladie qu’il fallait approfondir et adapter en fonction des progrès des connaissances scientifiques, ont stérilisé l’homéopathie, en ont fait une secte sombrant dans un mysticisme qui lui a retiré tout crédit dans les contrées anglo-saxonnes où elle s’est répandue.


            Cette recherche d’une intégration de l’homéopathie dans la biologie n’avait pas empêché, dans le même temps, de valoriser la sémiologie homéopathique, pour en dégager les signes généraux et les modalités générales que les homéopathes connaissaient et utilisaient depuis longtemps pour une prescription rapide et sûre du remède.


Tout était donc prêt pour que les modalités générales prennent la place qui leur revenait dans la matière médicale : il a suffi du sens de l’enseignement de Léon VANNIER pour qu’elles cristallisent dans le forme que nous connaissons aujourd’hui.

En conclusion, nous dirons que ce n’est pas par hasard que l’homéopathie française a, depuis quelques années, un tel rayonnement dans le monde. C’est parce qu’ils ont désengagé l’homéopathie de toutes les philosophies, de tous les ésotérismes, qui n’ont rien à voir avec elle et qui la déconsidèrent dans de nombreux pays où les homéopathes sont regardés comme des mages, des thaumaturges, des farfelus que l’on ne peut pas prendre au sérieux.


C’est parce qu’ils ont dépassé une vaine querelle entre « uniciste » et « pluraliste », en refusant d’en faire une question de doctrine : ils ne veulent y voir qu’un question d’opportunité clinique. C’est parce qu’ils ont refusé de considérer l’œuvre de HAHNEMANN comme une bible intangible, mais pensé qu’il fallait la replacer dans son temps, persuadés que HAHNEMANN, homme de progrès, les aurait approuvé de perfectionner son œuvre en fonction des progrès des connaissances scientifiques, à condition de respecter le principe de similitude et la méthode homéopathique qui a permis de la vérifier pour le plus grand bien des malades.


C’est dans cette direction qu’il faut poursuivre.


                                           (extrait d’un article paru dans la revue Homéopathie – 2/1984)

  

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